Cas médical : Suspicion d’intoxication au paracétamol chez un chat

Un chat mâle castré, âgé de 5 ans, est présenté en urgence pour un abattement d’apparition brutale, des vomissements, des vocalises et une détresse respiratoire. À l’examen clinique, il présente une hypothermie à 35°C, une tachycardie, une dyspnée mixte avec des épisodes de respiration gueule ouverte, un œdème des babines supérieures et du menton, et des muqueuses buccales cyanosées.

Dr. Vet Crepin, Responsable du service des urgences au CHV Aquivet (près de Bordeaux)
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Dr. Vet. Crepin

Un chat mâle castré âgé de 5 ans, est présenté en urgence pour un abattement d’apparition brutale, des vomissements, des vocalises et une détresse respiratoire. A l’examen clinique, il présente une hypothermie à 35°C, une tachycardie, une dyspnée mixte avec des épisodes de respiration gueule ouverte, un œdème des babines supérieures et du menton, et des muqueuses buccales cyanosées.

Un bilan hémato-biochimique est réalisé et ne révèle pas d’anomalie. Des radiographies thoraciques sont réalisées et se révèlent sans anomalie. Une échographie abdominale ne montre pas d’anomalie. En revanche, le sang prélevé présente une coloration brun-chocolat.

Quelles sont vos hypothèses diagnostiques ?

Le sang brun chocolat est pathognomonique d’une méthémoglobinisation. La méthémoglobine correspond à une forme oxydée de l’hémoglobine ; la conséquence de cette oxydation est une perturbation du transport de l’oxygène avec une diminution des capacités de fixation de l’oxygène et une cyanose consécutive. On rencontre la méthémoglobinisation dans les processus toxiques oxydatifs, lors d’anomalie structurale de l’hémoglobine, ou lors d’un déficit du système enzymatique. Chez le chat, on retrouve ainsi une méthémoglobinisation lors d'intoxication par des agents oxydants, et notamment lors d’ingestion de paracétamol, lors d'ingestion d'oignon en grande quantité, ou de chlorates (présents dans les désherbants mais interdits aujourd’hui), de benzocaïne ou phénazopyridine (anesthésiques local et anesthésique urinaire), de nitrites (certains engrais) ou de naphtalène.

Celle-ci se manifeste cliniquement par une cyanose des muqueuses buccales et une détresse respiratoire associée à une prostration.

Dans le cas de Titou, le diagnostic différentiel s’est effectué initialement sur la cyanose, qui sans anomalie radiographique du thorax, nous a conduit à rechercher une méthémoglobinisation, mise en évidence lors de la prise de sang. Le diagnostic différentiel a alors été réalisé sur les différents toxiques possibles, et la suspicion principale s’est arrêtée sur le paracétamol : les autres toxiques paraissaient en effet peu probables en raison de leur disponibilité ou accès très restreint. Par ailleurs les vomissements, l’hypothermie sont des signes rencontrés dans cette intoxication et l’œdème de la face et des babines n’est rapporté que dans les cas d’ingestion de paracétamol (mécanisme non connu).

Après questionnement des propriétaires, aucune administration spontanée n’a été renseignée mais les propriétaires étaient de grands consommateurs de paracétamol et la disparition d’un comprimé de DOLIPRANE® 1000mg a été notée.

Quel traitement mettez-vous en place ?

Le paracétamol est très rapidement et totalement absorbé au niveau digestif chez le chat dans les 60 à 90mn suivant l’ingestion. Les signes cliniques apparaissent dans les 4 à 12h suivant l’ingestion. Le tableau clinique du chat est dominé par la méthémoglobinisation et par le développement d’une anémie hémolytique consécutive à l’apparition de corps de Heinz. Chez le chat, la toxicité hépatique est secondaire et retardée par rapport aux signes hématologiques.

Titou est hospitalisé et placé sous fluidothérapie intra-veineuse NaCl 0,9% à 4 mL/kg/h (afin de favoriser l’élimination du paracétamol qui est principalement urinaire) et sous oxygénothérapie (cage à oxygène). Il reçoit du charbon activé (CARBOVITAL®) à 5mL/kg PO toutes les 6 heures pendant 24h.

Le traitement spécifique de l’intoxication au paracétamol est mis en place :

De la N-acétylcystéine (NAC) est ensuite administrée à la dose initiale de 140mg/kg puis 70mg/kg toutes les 6h pendant 36h. L'administration de N-acétyl-cystéine présente un réel intérêt dans les cas d'intoxication au paracétamol, elle fournit en effet des précurseurs permettant de relancer les voies de métabolisation du paracétamol (glutathion) et limitant ainsi les réactions oxydatives, et elle se lie au composé issu de l'oxydation du paracétamol (NAPQI) qui est à l'origine de la nécrose hépatique centro-tubulaire. Il a ainsi été démontré que l'administration d'N-acétylcystéine diminue significativement les effets hépatotoxiques et hématologiques avec des signes cliniques moins sévères et une baisse de la méthémoglobinisation. La formulation per os de la N-acetyl-cystéine (MUCOMYST®) est la forme la plus accessible avec une poudre orale. Il existe également une formulation injectable (FLUIMICIL®), plus pratique, mais difficile d'accès car réservé au milieu hospitalier. Enfin, des formulations pour instillation trachéo-bronchique (MUCOMYST®-MUCOSMYSTENDO®) peuvent être utilisées, bien que l'utilisation par voie injectable IV nécessite l'utilisation de filtres spécifiques et que l’utilisation par voie per os puisse être irritante et induire des vomissements.

Le traitement doit être instauré le plus tôt possible et idéalement dans les 16 heures suivant l’ingestion du paracétamol. Cependant, le métabolisme du paracétamol étant très lent chez le chat, le traitement doit être instauré même si la présentation est tardive.

De la vitamine C à 30 mg/kg est donnée par voie PO toutes les 6 heures pendant 7 traitements. Elle est également classiquement associée au traitement du fait de son action anti-oxydante, mais son action est plus lente et moins efficace, d'où son utilisation conjointe avec la NAC.

Récemment, l'utilisation de la S-adényl-méthionine (SAMe) (ZENTONIL®) a été proposée dans le cadre du traitement des intoxications au paracétamol chez le chat. L'étude de Webb CB. et al en 2003 a montré une diminution significative du nombre de corps de Heinz et une baisse moins marquée de l'hématocrite chez les chats intoxiqués traités avec du SAMe, suggérant un effet anti-oxydant bénéfique sur les érythrocytes dans le cadre de cette intoxication. La SAMe a été utilisée à la dose de 180mg matin et soir pendant 3 jours, puis 90mg matin et soir pendant 14 jours.

L’état de Titou s’est progressivement amélioré au cours des premières 24h, il a développé une hémoglobinurie (consécutive à l’hémolyse intravasculaire). Il a été rendu à ses propriétaires après 72h d’hospitalisation.

Le pronostic des intoxications au paracétamol chez le chat reste très réservé jusqu’à 48 à 72h post-ingestion, il dépend également de la rapidité du diagnostic et de la vitesse de mise en place du traitement, d’où l’importance de reconnaître rapidement les signes cliniques associés à cette intoxication. Le questionnement des propriétaires est important mais les ingestions accidentelles ne doivent pas être négligées : dans une thèse réalisée en 2011 sur les circonstances d’intoxication du chat au paracétamol, l’administration volontaire représentait 67,7% des intoxications, l’ingestion accidentelle représentait 21% et l’origine n’était pas connue dans 11,3% des cas.

Lorsque l’intoxication n’est pas formellement identifiée, le diagnostic de certitude passe par la réalisation d’un dosage plasmatique du paracétamol, mais celui-ci n’est en pratique jamais réalisé. Le traitement ne présentant pas d’effet secondaire, celui-ci doit être instauré même en cas de suspicion non avérée.

 

 

  • Webb CB., Twedt DC., Fettman MJ., Mason G. S-adenosylmethionine (SAMe) in a feline acetaminophen model of oxidative injury. Journal of Feline Medecine and Surgery. 2003, 5, 69-75.
  • Allen AL. The diagnosis of acetaminophen toxicosis in a cat. Can Vet J, 2003, 44, 509-510
  • Mailland V. Les intoxications majeures du chat d’après les données du CNITV de Lyon 2008-2009. 2011. Thèse vétérinaire. Lyon
  • Clement-Guercia S. Les intoxications des animaux de compagnie par les médicaments à usage humain. 2003. Thèse vétérinaire. Alfort.

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